CHAPITRE X
Le pilote de la navette jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.
— Agent Loor, il faudrait boucler votre harnais. Nous allons sortir de l’hyperespace.
Kirtan attacha maladroitement sa ceinture, embarrassé que son manque de coordination trahisse sa nervosité.
— Merci, lieutenant, dit-il sèchement. J’ai déjà voyagé de cette façon.
— Oui, monsieur, admit le pilote. Mais je parie que c’est la première fois que vous vous rendez au Centre Impérial.
Kirtan aurait aimé lancer une réplique cinglante. Le sentiment de désastre imminent qui l’habitait l’en empêcha. Il avait attendu deux semaines avant d’informer ses supérieurs de la mort de Gil Bastra, profitant du délai pour analyser les pistes que Bastra lui avait données pendant son interrogatoire. Aucune ne semblait mener quelque part. Pourtant, il était sûr qu’il pourrait remonter à Corran Horn, s’il arrivait à déchiffrer le sens caché des indications de Bastra.
Quelques heures après l’envoi de son rapport, il avait reçu l’ordre de se rendre dans les plus brefs délais au Centre Impérial, autrefois connu sous le nom de Coruscant.
La navette, prêtée par l’Agresseur, était le dernier de la série de vaisseaux qu’il avait empruntés pour répondre à la convocation.
Elle l’emmenait à sa perte, il en était persuadé.
La navette quitta l’hyperespace. Le Centre Impérial était encore plus impressionnant que Loor l’avait imaginé. Entourée de nuages gris, défendue par des plates-formes Golan orbitales, la planète ne révélait rien de sa vraie nature.
— Centre Impérial, ici la navette Objurium demandant la permission d’approcher du palais.
— Transmettez votre code d’accès.
— Transmission en cours. (Le pilote se tourna vers Kirtan.) Le code a intérêt à être bon. Nous sommes à portée de tir des deux stations Golan les plus proches.
— Il est bon, dit Kirtan. (Il pâlit soudain.) Euh… C’est celui qu’on m’a donné avec mon ordre de mission…
Le pilote et le copilote échangèrent un regard sarcastique.
— Ne vous en faites pas, agent Loor. Les temps sont terminés où l’Empire n’hésitait pas à faire sauter ses propres vaisseaux pour éliminer un agent de renseignement ! Il n’a plus les moyens de gaspiller du matériel. C’est ce qui me rassure.
Kirtan se força à répondre d’une voix sèche :
— Comment savez-vous que je ne suis pas là pour faire un rapport sur votre attitude ?
— Vous n’êtes pas le premier que j’emmène à sa mort, agent Loor, répondit nonchalamment le pilote.
— Navette Objurium, permission accordée. Alignez-vous sur la balise 784432.
— Compris. Objurium, terminé.
— Qu’est-ce que ça signifie ? demanda Kirtan.
— Nous nous dirigeons vers la tour 78, niveau 443, baie 2.
— Et alors ?
— La seule fois où j’ai amené quelqu’un à cet endroit, c’était le seigneur Vador. Après le désastre de Yavin.
Vador craignait-il les conséquences de ses actes autant que moi ? A-t-il sauvé sa vie en informant son maître de l’existence d’un autre Jedi ? Si j’avais eu un peu plus de temps, j’aurais pu ramener ma proie aux Impériaux…
Un éclair jaillit des nuages, devant la navette, générant une aire hexagonale légèrement lumineuse.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Kirtan.
— Le bouclier défensif extérieur. Pour des raisons évidentes, le Centre Impérial possède le système de boucliers le plus perfectionné de l’Empire. Une toute petite partie de ce bouclier s’ouvrira pour nous laisser passer. Puis elle se refermera tandis qu’une section du bouclier intérieur s’abaissera.
— Nul ne peut entrer sans code d’accès.
— Ni sortir, ajouta le pilote. Nombre d’agents Rebelles ont essayé de filer au moment ou des vaisseaux entraient. C’est un pari qui ne marche pas souvent.
Le copilote écrasa un bouton sur sa console.
— Nous avons traversé le premier bouclier.
— Prochaine ouverture à deux degrés nord, quatre est.
— Trajectoire préparée, monsieur.
— Nous serons bientôt à destination, agent Loor.
La navette fut prise dans les turbulences de l’atmosphère quand elle perça la couche de nuages. Kirtan resserra son harnais et agrippa le dossier du siège du copilote, les jointures blanches. Il aurait aimé croire que sa nausée venait des mouvements désordonnés de la navette, mais il savait que c’était faux.
La planète cachée sous ces nuages sera peut-être la dernière chose que je verrai avant de mourir…
La navette descendit sous la couche nuageuse. Le pilote sourit à Kirtan.
— Bienvenue au Centre Impérial, agent Loor !
Malgré sa peur, Kirtan Loor fut impressionné par le panorama. Le palais impérial, aisément reconnaissable, dépassait en taille les autres constructions de la mégalopole qui s’étendait sur un continent entier de Coruscant. Couronné de tours, des milliers de lumières étincelant comme des joyaux sur ses murs de pierre, il dominait la colline du Sénat. Les minuscules bâtiments – élevés à la mémoire de la gloire et de la justice de l’Ancienne République – semblaient craindre que le Palais grandisse encore et les avale.
Des lumières de toutes les couleurs partaient de ce point central, tels des nerfs transportant des informations entre le palais et l’extérieur. Kirtan suivit une des rivières lumineuses quand elle passa du rouge et vert au jaune et bleu.
Lorsque le vaisseau plongea plus bas, il vit les rues, transformées en canyons par les ruisseaux de lumière. Kirtan savait que les éclairages ne pouvaient pas atteindre le fond des ruelles.
Son imagination produisit une théorie de créatures de cauchemar peuplant ces profondeurs.
Pourtant, le danger mortel auquel je suis confronté est au-dessus de tout ça.
Un carré rouge apparut sur l’écran de navigation, entourant le sommet d’une tour du palais. Des lumières clignotaient autour d’un orifice trop petit pour permettre l’entrée de la navette, même avec les ailes repliées.
— Impossible que nous passions par là ! Où allons-nous atterrir ?
— Agent Loor, l’entrée semble étroite parce que nous en sommes encore à trois kilomètres.
Bouche bée, Kirtan essaya de remettre en perspective ce qu’il voyait. Les rues qu’il avait prises pour des pistes étroites étaient des boulevards. Et les tours n’étaient pas des minarets effilés, mais des bâtiments prévus pour loger à chaque niveau des centaines de milliers de personnes. Et ils constituaient une armure composée de plusieurs couches de ferrobéton.
Kirtan frissonna en pensant à la profondeur des tunnels de la planète. Il doutait que quiconque ait mis un pied sur le sol, situé sous la Cité Impériale, depuis des siècles.
Il lui parut impossible qu’un monde puisse abriter autant de gens. Mais il s’agissait de Coruscant, le cœur d’un Empire qui s’enorgueillissait de dominer des millions de mondes. Si chaque planète avait besoin d’un millier de personnes pour gérer ses problèmes, Coruscant devait être le foyer de milliards de gens. Et il en fallait encore des milliards pour travailler, bâtir, nettoyer…
Mais des milliards de gens suffisaient-ils pour s’occuper de l’Empire ?
Ou de ce qu’il en reste…
L’Objurium se rapprocha de la tour. Kirtan jugea que l’ouverture ressemblait à un trou noir prêt à l’aspirer. Son côté rationnel lui soufflait qu’il aurait été idiot de dépenser tout l’argent qu’avait coûté son voyage jusqu’à Coruscant pour le tuer à l’arrivée.
Mais il sentait que la mort rôdait. Il avait échoué. Dans l’Empire, le prix à payer était invariablement celui-là.
Kirtan passa un doigt nerveux sous son col. La seule façon de rester en vie, se dit-il, était de posséder quelque chose de valeur pour la personne qui l’avait convoqué. Mais il n’avait rien, sauf sa misérable existence…
L’entrée approchait. Kirtan vit des silhouettes se déplacer dans les profondeurs de l’édifice. La navette descendit doucement, pénétra dans le hangar et se posa sur le pont.
Les nerfs en boule, Kirtan se prépara au pire.
— Merci de vos efforts, lieutenant.
Le pilote lui fit un signe de tête.
— Bonne chance, monsieur.
Kirtan passa une paire de gants de cuir noir.
— Que votre vol de retour à l’Agresseur soit agréable.
L’agent de renseignement se leva lentement, le temps de s’habituer à la gravité de la planète. Puis il sortit du cockpit et descendit la rampe d’accès. Quatre gardes impériaux l’attendaient, resplendissants dans leurs uniformes écarlates. Ils l’escortèrent vers la sortie du hangar.
Les quelques personnes qu’il rencontra ne lui prêtèrent pas attention, semblant même détourner le regard.
Ont-ils vu tant de gens arriver ici pour n’en jamais repartir ? Ou craignent-ils d’être entraînés dans mon sillage s’ils montrent de l’intérêt pour ma personne ?
Kirtan était presque assez grand pour voir au-delà des casques des gardes, qui semblaient identiques en taille et en carrure. Toutefois, leurs capes les dissimulaient suffisamment pour gommer les éventuelles différences. La seule variation notable entre ces hommes et les hologrammes que Loor avait vus était le galon noir qui garnissait l’ourlet de leurs capes. Sous le chiche éclairage des couloirs, on eût presque dit que les soldats marchaient à quelques centimètres au-dessus du sol. La période de deuil étant achevée depuis plus d’un an, Kirtan supposa que le galon indiquait la dévotion sans faille de ces hommes à l’Empereur.
Kirtan sentit des vibrations sous ses pieds quand ils traversèrent un interminable couloir. Il supposa qu’ils se trouvaient sur un des ponts reliant la tour d’atterrissage au palais.
Loor et son escorte arrivèrent enfin devant une porte que deux gardes ouvrirent en le voyant. Il entra dans une grande pièce dont un mur était entièrement en verre. Une femme grande et mince se tenait devant cette verrière, éclairée par les lueurs montant de la surface de la planète.
— Vous êtes Kirtan Loor, dit-elle d’une voix péremptoire.
— À vos ordres. (Malgré ses efforts, sa voix se brisa.) Je peux expliquer mon rapport.
— Agent Loor, si j’avais voulu une explication, j’aurais fait en sorte que vos supérieurs vous l’arrachent, de gré ou de force. Savez-vous qui je suis ?
— Non, madame, répondit Kirtan, la bouche sèche.
— Mon nom est Ysanne Isard – le chef des Renseignements Impériaux. Je suis déterminée à écraser la Rébellion. Et vous pouvez m’aider.
— Moi ?
— Vous. J’espère que mon opinion est fondée. Si elle ne l’était pas, j’aurais dépensé beaucoup d’argent pour rien. Je serais forcée de vous demander des comptes, et je crains que vous n’ayez aucun moyen de payer votre dette…